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52 000 tonnes de riz détournées : les ramifications de l’affaire Ali Zaidan

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Des agents de la Société générale de surveillance (Sgs) et de la Société des industries maritimes (Simar) Sa ont été arrêtés dans l’affaire Ali Zaídan. Nos révélations exclusives sur cette affaire qui intéresse aussi la Douane.

Libération révélait en exclusivité l’arrestation Ali Zaidan, directeur général de Stc [Swiss agri trading, spécialisée dans la commercialisation du riz], dans une affaire de détournement de riz portant sur 15 milliards de francs CFA. Selon nos informations l’opérateur économique, âgé de 40 ans, n’est pas tombé seul. Il a été arrêté en même temps que Abdoul Boubou Sy (responsable manager de Sgs, [Société générale de surveillance]), Mamadou Ba (superviseur à Sgs), Ababacar Mengye (superviseur à Sgs), Amadou Fall dit Pape Fall (magasinier Simar, Société des industries maritimes), Moussa Ndiaye (magasinier à Simar), Mamadou Basse (magasinier à l’entrepôt de Kounoune de Simar) et Mamadou Lamine Dramé (magasinier à l’entrepôt de Cambérène de Simar).

Tout ce beau monde a été déféré ce lundi pour association de malfaiteurs, vol et blanchiment de capitaux. En faveur d’un retour de parquet, les mis en cause seront édifiés sur leur sort ce mardi.

Cette affaire tentaculaire fait suite à une plainte déposée contre X par Paul Henri Rouzeau, directeur général de la Sat.

À ce titre, la société Sat avait loué quelques magasins au Sénégal afin de stocker des cargaisons de riz acquises à l’étranger sur financement de banques européennes. Dans sa plainte, Paul Henri Rouzeau a expliqué que pour l’exécution des fournitures de marchandise, la Sat et la Senegalese trading company (Stc), dirigée par Ali Zaidan, avaient souscrit un contrat de tiers détenteur, renfermant tous les éléments nécessaires à la vente du riz sur le marché sénégalais (tonnage, spécificité de la qualité du riz, quantité, emballage, prix à la tonne, identité du navire, etc.). De ce fait, précise-t-il, le paiement intervenait au fur et à mesure des revenus déposés par la Stc.

Également, il a signalé que pour chaque opération, il était stipulé que lorsque le client tarde à s’acquitter de sa dette dans la précédente cargaison, pendant plus de 60 jours, la société Sat se réservait le droit de revendre son produit (cargaison de riz) à un autre client et mettre le précédent «en défaut client».

Les termes d’un partenariat qui a viré au scandale

Poursuivant, le patron de Sat a ajouté qu’à l’arrivée de chaque bateau, pour la sécurisation du stock et du contrôle du dépôt, des entrées et sorties du riz dans les entrepôts, il a souscrit encore un contrat avec la Sgs et à la Simar Sa, toutes établies à Dakar.

Cependant, en début 2023, il a soutenu qu’en raison du non-paiement de la Stc d’un stock d’environ cinquante-deux mille (52 000) tonnes de riz, celle-ci a été classée «client en défaut» ; autrement dit, elle n’avait plus droit à la livraison de cargaison conformément à leur contrat et ainsi, les stocks acheminés au Sénégal et qui étaient destinés à sa livraison, sont réaffectés pour le compte d’autres clients qui sont en règle par rapport à leurs créances.

Un stock de 52 638 tonnes de riz porté disparu

Mais à l’issue des inventaires, effectués par le cabinet d’audit Ace global Sénégal, entre le 5 et le 13 août 2024, il a été .constaté la disparition d’un stock de cinquante-deux mille six cent trente-huit (52 638) tonnes de riz, estimé à 15 milliards de francs CFA. Ce stock était réparti entre sept entrepôts, à savoir Annexe Bel-Air 2, Bel Air Sit Com 1, Bel-Air Sit Com 2, Cambéréne D, Cambéréne E, H9 Hann, Kounoune et Simar Bel-Air.

Surpris par les faits, il a saisi les entreprises Sgs et Simar Sa, qui d’une part, en assuraient la gestion et recevaient obligatoirement des relâches des banques, en guise d’instruction pour livrer, et d’autre part lui avaient certifié quelques jours auparavant que toute la marchandise constituée de cargaisons de riz, était encore dans les différents entrepôts. Après la découverte du pot aux roses, les deux sociétés précitées n’ont pas pu lui donner des explications claires, malgré ses moult relances. Devant cette situation, il a décidé de saisir la Justice afin de retrouver la quantité de riz disparue.

Entendu à titre de témoin, Issa Dieng, responsable des opérations au cabinet d’audit Ace Global Sénégal a confirmé que l’audit permettant de découvrir la disparition de 52 638 tonnes de riz dans les entrepôts de Simar a été bel et bien effectué par leur cabinet.

Revenant sur les faits, il a déclaré qu’après être saisi, il a demandé à la Simar, chargée de la gestion des entrepôts, de lui fournir tous les documents nécessaires et de mettre les personnels administratif et de magasins ainsi que les dockers à sa disposition. Mais celle-ci n’a mis à sa disposition que les personnels et peine à lui faire parvenir les documents y afférents.

À l’issue d’un audit objectif, soutient le sieur Issa Dieng, ils ont constaté la disparition de la quantité de riz précité dans les entrepôts de Simar. Il a laissé entendre n’avoir pas pu déterminer la position de ce stock, mais selon lui, sa disparition implique forcément les sociétés qui reçoivent des relâches avant de livrer et qui sont chargées de la gestion des stocks et de sa sécurisation sur place, en l’occurrence Simar et Sgs.

Interrogé à son tour, Babacar Ndour, responsable de tous les magasiniers de la Simar, a indiqué que la société était dirigée par Sima Faty avant de revenir sur son rôle au sein de l’entreprise. Il a déclaré que celui-ci consiste à assurer le commandement, les consignes, la sécurité globale de la société et la bonne marche du service dans les entrepôts. Poursuivant, Babacar Ndour a expliqué qu’il ignore les conditions dans lesquelles ce stock a disparu car aucun stock de riz ne peut-être décaissé sans un relâche de la Sgs et le bon de livraison de la Stc.

Selon lui, cette quantité a été enlevée et livrée à la Stc via, son directeur général Ali Zaidan et avec l’accord de la Sgs qui a autorisé les relâches y afférents. Après la livraison, affirme-t-il, Zaidan a acheminé quasiment tout le stock au Mali afin de le vendre et se réfugier au Portugal.

D’ailleurs, dit-il, ce dernier serait actuellement recherché par ses clients maliens pour détournement de fonds. À l’issue de son audition, il a déclaré que les magasiniers des entrepôts étaient bien au courant de la livraison du riz, mais n’ont jamais su que ces sorties étaient frauduleusement orchestrées par Ali Zaidan.

Interrogé Cheikh Tidiane Diack, agent opérateur de la Simar, a soutenu que le décaissement de ce stock incriminé a respecté la procédure des sorties. Il a précisé que seul Ali Zaidan est autorisé à enlever la marchandise au niveau des divers entrepôts de Simar, conformément à la tierce détention et au protocole d’accord qui lie les entreprises Simar Sa, Stc et Sgs.

Il a ajouté que la société Sgs est chargée de la réception des relâches accompagnées des bons de livraison délivrés par Ali Zaidan. C’est sur la base de ces documents que les magasiniers ordonnent la livraison de stock de marchandises. Par la même occasion, il a déposé les copies des bons de livraisons de la Stc durant la période de juillet 2023 à juillet 2024:

Convoqués et entendus, les magasiniers Mamadou Basse (arrêté), Mamadou Lamine Dramé (arrêté), Moussa Ndiaye (arrêté et Amadou Fal” dit Pape Fall (arrêté), ont rejeté toute implication dans la disparition de ce stock de riz. Ils ont déclaré que celui-ci n’a pas disparu, mais a été enlevé et livré régulièrement à Ali Zaidan, directeur de la Stc.

D’ailleurs, selon eux, ce dernier avait reconnu avoir enlevé ledit stock avant de l’écouler dans le marché. Ils ont ajouté qu’avant de libérer un quelconque stock dans leurs entrepôts, ils reçoivent au préalable l’autorisation de leur directrice Sima Faty et en même temps, ils enregistrent les sorties pour ensuite envoyer une des copies à leur direction. D’après eux, c’est Ali Zaidan qui est le responsable de ce manquant car ayant refusé de solder ses créances auprès de Stéphane Rouzeau.

Convoqué, Abdoul Boubou Sy (arrêté), responsable manager de la Sgs, est revenu d’abord sur le contrat qui lie les sociétés Simar et Sat. A cet effet, il a déclaré que leur société mère se trouvant à Genève a signé avec la Sat un contrat de de Stock monitoring agreement (Sma).

Dans ledit contrat, Sgs, basée à Dakar, est chargée de suivre les quantités de riz réceptionnées dans les entrepôts désignés par la Sat. Concrètement, dit-il, lorsque qu’une cargaison de riz arrive sur Dakar, la Sat envoie à la Sgs les noms des entrepôts de Simar chargés de sa réception. À cet effet, un représentant de la Sgs se rend dans les entrepôts concernés pour assister à la réception et noter la quantité de riz déchargée. À l’issue des déchargements, renseigne-t-il, ledit représentant rédige un rapport adressé à la Sat pour rendre compte de la situation.

C’est à partir de ce stade que la Sgs commence à suivre les enlèvements. Il a ajouté que la Sgs reçoit des relâches émanent de la Sat, de la part de leur société mère, non pas pour autoriser la livraison de stock de riz, mais uniquement pour le suivi des enlèvements des sacs de riz dans les entrepôts.

À la question de savoir, s’il était au courant qu’Ali Zaidan, Dg de Stc a été classé «client en défaut» par la Sat, il a répondu l’avoir su tardivement à a date du 2 août 2024. Interpellé sur la destination du stock du riz indument livré à la Stc, il a rétorqué n’en avoir aucune idée, car sa responsabilité ne s’est pas engagée.

En terminant, Abdoul Boubou Sy a signalé qu’au courant du mois d’octobre 2023, à l’issue d’une évaluation de la situation dans les entrepôts, il a été constaté un manquant de stock d’environ 22 000 tonnes, qui n’a pas été enregistré dans les registres alors qu’il avait été déjà livré à la Stc.

Compte tenu de ces faits, une réunion a été tenue entre les nommés Idrissa Diome, Mamadou Ba, Ali Zaidan et lui.

Lors de cette rencontre, dit-il, Ali Zaidan a formellement avoué avoir enlevé la quantité précitée et s’était engagé à régulariser la situation en soldant le gap dans un bref délai. Ce qu’il n’aurait jamais fait.

C’est dans le même sens qu’a abondé Mamadou Ba (arrêté), superviseur à la Sgs. Il a affirmé que Sgs reçoit des relâches pour assurer le suivi des entrées et sorties de stocks de riz. Il a par ailleurs confirmé que lors de cette réunion, Ali Zaidan leur avait confirmé qu’il a enlevé la quantité de riz non enregistrée et s’était engagé à régulariser la situation.

Mamadou Ba avoue avoir rédigé les rapports fictifs de la Sgs

Interpellé, il a reconnu être l’auteur des rapports hebdomadaires fictifs de la Sgs, transmis à la Sat, depuis octobre 2023, en remplacement du superviseur Ababacar Mbengue, relativement au suivi des quantités de riz existant dans les entrepôts.

Entendu sur Pv aussi, le nommé Ababacar Mbengue (arrêté), superviseur également à la Sgs, s’est présenté comme le chargé de la planification du tableau de travail quotidien, de la programmation des agents journaliers et contractuels; de la rédaction et l’envoi des rapports aux différents clients du départe ment céréalier Afl de la Sgs.

Il a confirmé qu’il était le rédacteur des rapports hebdomadaires transmis à la Sat sur la situation des stocks de riz, entre début 2022 et octobre, 2023. Il a avancé dans le cadre de son travail, dès que le client lui délivre un bon de livraison conforme, il est obligatoirement livrée stock commandé, avec ou sans relâche, conformément aux consignes de sa hiérarchie. Mais après chaque livraison, il en rendait compte à ses supérieurs, tous en enregistrant les bons de livraison en question, avant d’établir un rapport pour le compte de la Sat.

Revenant sur le motif de son remplacement par Mamadou Bâ, Ababacar Mbengue a affirmé que le responsable de la Sgs en l’occurrence Abdoul.

Boubou Sy, qui a pris ladite décision, lui reprochait d’avoir été négligeant dans le cadre de son travail. Lors d’une confrontation, Abdoul Boubou Sy a confirmé avoir remplacé Ababacar Mbengue à cause des rapports non conformes aux stocks qu’il faisait, alors qu’une partie avait été déjà livrée à Ali Zaidan. Des accusations que Ababacar Mbengue a nié.

Lors de son interrogatoire, Sima Faty, directrice de la Simar, a dit que dans le protocole qui la lie avec les sociétés Stc, Sat et Sgs, elle est chargée de l’entreposage des stocks de riz et de leur gestion pour le compte de la Sat, sous le contrôle de la Sgs et même de la Stc.

Revenant sur la procédure adoptée pour la livraison d’un stock de riz à la Stc, elle a soutenu que lorsqu’un paiement est effectué dans un compte de Sat, son directeur Stéphane Rouzeau lui délivre une copie de la relâche y afférente pour procéder à la livraison à Stc, tout en précisant qu’elle n’a ni un droit de regard sur le montant versé dans le compte de la Sat, ni un droit de regard sur la gestion effectuée par la Sgs qui d’ailleurs reçoit obligatoirement la relâche de la Sat avant la Simar.

Par la suite, la Stc lui donne le bon à livrer de ses clients. C’est à ce moment qu’elle donne l’autorisation aux différents magasiniers de préparer la livraison de la marchandise. Elle a signalé que pour chaque livraison, en sus de la copie du relâche, il faut obligatoirement l’accord de la Sgs pour faire une livraison. Autrement, le stock sera bloqué dans l’entrepôt si la Sgs n’a pas marqué son accord, car elle est la représentante de la Sat.

Interpellée sur l’audit révélant la disparition du stock en question, elle a rétorqué n’en avoir jamais été informée, même si les rumeurs lui sont parvenues.

Ce que Ali Zaidan a dit aux enquêteurs

Face aux enquêteurs, Ali Zaidan a rejeté en bloc les accusations portées à son encontre. Revenant sur sa relation avec Stéphane Rouzeau, il a signifié que ce dernier est un ami avec qui entretient depuis 2009 des relations amicales et professionnelles relatives à la fourniture du riz. Néanmoins en 2022, dit-il, leur relation a commencé à se dégrader à cause d’un client de la Sat dénomme «Tds».

En effet, le sieur Rouzeau lui a signifié qu’il avait un manquant d’un grand stock de riz dans ses entrepôts à Dakar et qu’il ne voulait pas le déclarer à sa police d’assurance européenne, car cela allait arrêter et mettre en cause ses activités au Sénégal. Il a ajouté que cette situation pourrait entraîner même l’arrestation de la directrice de Simar Sa.

Sur ces entrefaites, il a pris en charge le paiement intégral de ce manquant, estimé à environ trois milliards pour le compte de Stéphane Rouzeau auprès de sa banque. Après avoir soldé ce montant, la Sat s’est engagée à poursuivre leur collaboration sur la fourniture exclusive de riz, mais jusqu’à ce jour il n’a pas encore été remboursé par le plaignant.

En ce qui concerne leur relation entre janvier 2023 et août 2024, les affaires marchaient correctement entre fournisseur et client. Néanmoins, ajoute-t-il, c’est au cours du mois de juillet 2024 que le plaignant a commencé à l’accuser d’avoir indument décaissé un grand stock de riz. Interpellé sur sa notification de «client en défaut» par la Sat en 2023, il a soutenu n’avoir jamais été notifié de cette décision. Il a dit en avoir pris connaissance à la date du 26 juin 2024.

Questionné sur le constat lors de l’audit d’un manquant d’un stock global de 52 638 tonnes de riz, Ali Zaidan a rétorqué n’en avoir pas été informé et qu’il doute de la disparition d’un tel stock de riz, car ses achats de riz auprès de la Sat ont été régulièrement faits.

Interpellé également sur la déclaration de de Sima Faty selon laquelle il avait reconnu en février 2024 avoir sorti frauduleusement 30 949 tonnes de riz de ses entrepôts, il est encore resté sur la négative. Confondu avec les bons de livraison déposés par Cheikh Tidiane Diack et qu’il avait émis en récupérant la quantité de riz précitée dans les entrepôts de la Simar durant la période d’octobre 2023 et juillet 2024, il a persisté à nier les faits.

Confronté avec Abdoul Bou bou Sy et Mamadou Ba, Ali Zaidan a campé sur sa postion en niant les faits.

Entendus à leur tour, Ndèye Tabaski Diène, Alioune Badara Tamba, Amadou Cissé, Talla Guèye et Ousseynou Guèye, tous employés de la Stc, ont déclaré n’avoir jamais eu l’information de la notification de «client en défaut de la Sto» par la Sat. Ils ont tous affirmé qu’un stock de riz ne saurait sortir des entrepôts sans l’autorisation de la Simar et de la Sgs qui reçoivent les relâches et les bons de livraisons.

L’exploitation des bons de livraison de la Stc et Simar déposés par les magasiniers, a permis de découvrir qu’une quantité de riz variant entre 400 tonnes et 20 000 tonnes, a été libérée dans les entrepôts de la Simar sis à Kounoune, Cambéréne, Cices-Pavillon Brun et Hann, et réceptionnée par la Stc. En plus de cela, certains des bons de livraison ne comportent pas de signatures ni de cachets.

Interrogés à nouveau sur les anomalies notées dans les bons de livraison, Mamadou Basse, Mamadou Lamine Dramé, Moussa Ndiaye et Amadou Fall dit Pape Fall, magasiniers dans les entrepôts concernés, ont rétorqué tous qu’ils ont livré lesdites quantités à la Stc; et c’est avec ce procédé qu’ils travaillent depuis leur recrutement à la Simar. Ils ont ajouté que tous les bons de livraison ont été acheminés à la direction de Simar car ayant été autorisés par leur directrice, Sima Faty.

Dans tous les cas, cette affaire a provoqué une panique générale dans la place bancaire. En effet, Ali Zaidan doit près de 20 milliards de francs Cfa à quatre banques. De plus, la Douane a aussi ouvert une enquête. Hier, elle a mis sous scellé tous les entrepôts de Simar.

Libération

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