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[Focus] Harcèlements en milieu scolaire: Un drame social dans l’angle mort de l’attention des médias sénégalais !

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Au Sénégal, quand on parle de harcèlement en milieu scolaire, on pense à l’agression sexuelle, impliquant le plus souvent les enseignants. Mais, beaucoup se rappellent avoir vu, subi ou entendu parler de brimades, d’insultes, de moqueries, d’humiliations voire de coups. Bref, des plaisanteries malveillantes dont continuent de souffrir nombre d’élèves garçons et filles. Seulement, ces actes aux conséquences désastreuses se situent, malheureusement, dans l’angle mort de l’attention journalistique. Seneweb essaie d’y voir plus clair. 


Treize (13) heures passées, ce lundi 27 mars 2023, les rues sont quasiment désertes au quartier Sud de Saint-Louis. Malgré un temps assez clément, seuls quelques ambulants et automobilistes sont dehors à cette heure. Ramadan oblige ! Non loin de la Gouvernance, un groupe de jeunes élèves, sacs au dos, gourdes et autres gadgets à la main, s’amusent et rigolent. Ils viennent de prendre leurs fêtes de Pâques et ce, jusqu’au 12 avril prochain. Mais de plus près, l’un d’eux se distingue. Libasse, environ 10 ans, est chahuté et brimé par ses camarades : « Leuk Sène, Gudu nopp » (Lapin, espèce aux longues oreilles), chantent-ils en chœur, à son endroit.
En réalité, ce petit élève est harcelé, tous les jours, par ses camarades de classe pour avoir des oreilles différentes de celles de ces derniers. « C’est ce que je vis tous les jours, je n’en peux plus », confie-t-il, les larmes aux joues. « C’est comme si je ne suis pas humain, comme eux », ajoute Libasse, l’air dépité.
Le cas de ce petit élève en classe de CE2 est pourtant bien préoccupant au sein sa famille établie à Pikine, dans le faubourg de la vieille ville. « Durant les premières années, il était très brillant, mais de plus en plus son niveau dégringole », témoigne, avec dépit, sa mère.  « Des fois, il ne veut pas du tout aller à l’école, il n’ose pas l’affirmer, mais on le lit à travers ses yeux, il est tout le temps stressé », ajoute Daba, mère de deux enfants.

« Trois à quatre cas traités par mois »
A noter, cependant, que dans cette famille, Libasse n’est pas le seul à vivre ce genre de harcèlement en milieu scolaire. Raby, sa tante, aujourd’hui employée dans une entreprise de la place, a failli abandonner les études pour les mêmes causes. « Je faisais la classe de sixième moyen au lycée de jeunes filles Ameth Fall. Mes camarades me surnommaient ‘’Yattu kell’’ (bâton) et se moquaient de moi tous les jours, surtout à l’heure de la récréation et à la descente », raconte cette mère de famille. Elle dit, toutefois, avoir toujours gardé son sang-froid en se concentrant sur ses cahiers jusqu’à l’obtention du baccalauréat. « On me jetait des papiers, me frappait à l’insu du professeur et récupérait même mes goûters, mais j’ai toujours eu les yeux et l’esprit sur mes leçons. Beaucoup parmi elles n’ont pas pu décrocher le bac, du moins cette année-là », nous dit Raby.   
A Saint-Louis, ces formes de malfaisances sont devenues récurrentes. Un Principal d’un Collège d’enseignement moyen (Cem) que nous avons contacté dit « traiter, parfois trois à quatre cas par mois » dans son établissement, précisant que « même des élèves, reconnus coupables de ces genres de faits, ont été exclus ». 
En réalité, les harcèlements et autres formes de violences sont enregistrés dans presque tous les établissements scolaires au Sénégal. A Dakar par exemple, une source établie au niveau de l’Inspection d’académie nous signale que « des dizaines d’élèves, plus particulièrement des filles, en sont victimes chaque année scolaire » dans le département. « Mais, ajoute notre interlocuteur, ces cas sont tous gérés en interne, au niveau des établissements », rappelant, dans la foulée, que « la plupart de ces cas sont notés au sein des collèges et des lycées ».  
Parmi ces victimes, Christian, Mandiouba et Pauline, tous des élèves âgés entre 6, 8 et 11 ans, vivant dans un immeuble assez peuplé à Hann Maristes. Rosalie, leur mère, confie que la « déformation » (des jambes arquées) de ses enfants leur cause beaucoup de préjudices. Cette dame, dont le mari est haut gradé de l’armée sénégalaise, dit avoir déménagé au moins à trois reprises pour les faire « fuir » les brimades et harcèlements dont ils sont victimes. « La première fois, c’était à Sacré-Cœur, Christian, le plus âgé, souffrait dans son école. Heureusement, ils sont très concentrés sur leurs études, sinon ça allait être pire », narre-t-elle. Elle s’empresse de signaler que ni leur père, ni elle-même ne traîne cette pathologie. « C’est la volonté divine, c’est Lui qui les a faits comme ça », confesse-t-elle.

Les Réseaux sociaux, terreau fertile pour le «cyber harcèlement»
Des témoignages reçus des acteurs de l’éducation et organisations de défenses de droits de l’enfance, établis entre Dakar et Saint-Louis, il nous revient que ces harcèlements en milieu scolaire, au-delà de ceux sous forme sexuelle, peuvent être des menaces physiques, des moqueries, de l’ostracisme, de la propagation de fausses rumeurs à l’encontre de la victime, des insultes, du racket, du vol avec violence entre camarades de classe. Pire, avec l’essor fulgurant de l’internet, notamment des réseaux sociaux, ces comportements dépassent, aujourd’hui, les murs des écoles et deviennent la plupart du temps anonymes. On parle de « cyber harcèlement ». D’ailleurs, « cette nouvelle forme de harcèlement observée sur la toile fait qu’il devient de plus en plus difficile pour les enfants d’échapper aux plaisanteries malveillantes et aux menaces de leurs camarades de classe puisque la plupart de ces jeunes ont une vie numérique qu’ils s’évertuent à entretenir », nous explique un collaborateur de l’Ong « Save The Children ».
Un récent rapport de l’Unesco a révélé que plus de 30% des élèves du monde ont été victimes d’intimidation, « avec des conséquences dévastatrices sur les résultats scolaires, les abandons scolaires et la santé physique et mentale ». Une estimation de Plan International révèle, pour sa part, que 246 millions d’enfants et d’adolescents connaîtraient chaque année la violence dans et aux abords de l’école. Au même moment, dans l’enquête mondiale sur la Santé des élèves à l’école, réalisée par l’Organisation mondiale de la santé, le Sénégal est considéré comme l’un des pays les plus à risque de souffrir d’intimidation, particulièrement chez les filles, dont « les témoignages nous mettent en garde contre le harcèlement qu’elles subissent de la part de leurs camarades de classe et même des enseignants ».

L’enfant et la rubrique des faits divers
Malgré tout, le constat est unanime : ce genre de sujet n’est pas assez pris en compte dans le traitement médiatique au Sénégal. Pourtant, ce phénomène fait partie des « thèmes qui servent l’intérêt public », et dont fait état, notamment en son article 65, la loi N° 2017-27 du 13 juillet 2017 portant Code de la presse.
L’affaire des élèves de Karang, dont la vidéo, virale sur les réseaux sociaux, est l’un des très rares cas de violences et actes de malfaisances dans les établissements scolaires, ayant fait la Une de la presse, ces dernières années. 
« Dans le cadre de l’exercice de leur mission d’information et d’éducation, nombre de journalistes relèguent au second plan la problématique de l’enfant au Sénégal. La question alimente la rubrique des faits divers et le traitement est réservé à quelques cas d’abus sévères », avaient d’ailleurs regretté des panélistes, lors d’un forum d’échange initié, il y a quelques mois, par Plan International, l’Institut Panos et le ministère en charge de la protection de l’enfance avec des professionnels des médias. 
« En tant que journaliste, je ne suis pas très fier de ce que nous faisons vis-à-vis des enfants, parce que le traitement médiatique de tout ce qui concerne les enfants est un vrai problème au Sénégal », s’écriait, de son côté, Adama Sow, directeur de la communication et non moins chargé de la protection des enfants de la Commission de protection des données personnelles (Cdp). Il s’est plaint, dans un entretien avec Emedia, du traitement réservé à la fille mineure violée et maltraitée à Diya dont on a montré le visage et les habits ensanglantés et du plus récent cas de la fille de Fatou Tampi qui a été, selon le professionnel des médias, jetée en pâture. Autant de faits qui ont poussé M. Sow à affirmer qu’il « y a une ligne jaune ou rouge que la presse sénégalaise ne doit plus franchir en matière de traitement de tout ce qui touche les enfants ». 
Alors pourquoi au Sénégal, cette problématique est, aujourd’hui, placée dans l’angle mort de l’attention journalistique ? La question semble ne pas trouver de réponse. Deux responsables de rédaction interrogés dans le cadre de ce papier (un rédacteur en chef et un directeur de l’information, à l’occurrence) ont tous « gentiment » décliné, préférant ne pas « s’y prononcer ». 

« Concilier l’éthique journalistique et les droits des enfants ». 
Journaliste et expert en droit des médias, Oumar Seck Ndiaye explique, pour sa part, cette situation par le fait que la question des enfants n’est pas un sujet ‘’sexy’’, qui n’attire pas beaucoup la foule et ne fait pas « vendre ». C’est pourquoi, fait-il croire, les enfants ne font la Une que quand ils sont dans des sujets de catastrophe. Et, « une fois que l’émotion passe, on tourne la page jusqu’à la prochaine actualité. Les enfants ne sont que de simples sujets qui sont abordés dans des faits divers. On les utilise pour manipuler les foules. Un instrument pour toucher les émotions », s’est-il désolé au cours d’un panel. M. Ndiaye a, à cet effet, indexé la faiblesse ou l’inexistence de productions destinées aux enfants. Dans la même veine, l’expert en droit des médias est d’avis que le rôle des journalistes dans la protection des enfants est de « concilier l’éthique journalistique et les droits des enfants ». 
Docteur en science du langage, Jean Sibadioumeg Diatta est du même avis. L’enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) dit avoir remarqué que du fait de la conjoncture économique, les médias mettent le plus le curseur sur les faits divers qui augmentent l’audimat et vendent les quotidiens et la presse en ligne. « Les sujets ayant trait aux conditions des enfants, couches vulnérables, n’intéressent pas suffisamment les médias. Nous sommes à l’ère du sensationnel et des faits politiques qui inondent les médias », observe-t-il, admettant, tout de même, que le harcèlement en milieu scolaire constitue un véritable fléau qui gangrène le secteur de l’éducation. « Les cas récurrents sont étouffés ou réglés à l’amiable ; ce qui fait que le phonème connaît un développement extraordinaire. Il faut être dans le milieu pour s’en rendre compte. Beaucoup d’enfants abandonnent le milieu scolaire à cause de ces harcèlements », ajoute l’universitaire.

Dr Diatta reconnaît, par ailleurs, le rôle « prépondérant » des médias qui, à travers des productions approfondies, posent le problème sur la place publique et proposent des pistes de solutions tant préventives que répressives. « On doit sortir le phénomène du domaine du tabou pour  le rendre public. Cela se fera grâce à la contribution des médias », plaide ainsi le communiquant, qui préconise la mise en place « d’un réseau d’acteurs de la presse spécialisés sur la question afin de porter le débat en le rendant public ». D’autant plus que, conclut-il, « les médias ont une mission d’éducation et de sensibilisation face à un fléau comme celui des violences qui touchent les enfants ». 

Effets psychologiques 
Quoi qu’il en soit, les conséquences des violences et harcèlements scolaires pèsent sur l’âme de l’élève et du futur adulte. A court terme, le décrochage scolaire ou l’absentéisme, la désocialisation, l’anxiété, la dépression, ou des idées suicidaires. « Ma fille fait l’objet de moqueries et de railleries d’un de ses camarades. Quand un jour elle rentre de l’école et me dit maman, je veux changer d’école, j’ai prévenu le directeur de l’école. L’élève en question a été convoqué. Aujourd’hui ma fille est en perte de confiance et en manque de concentration », confie Mariam Sidibé, mère de famille, habitant Médina. Selon elle, sa fille a le tort d’avoir des yeux à l’envers.
Aussi, d’après le psychologue Ndiawar Wade, « des conséquences peuvent se faire ressentir tout au long de la vie de la victime et sur le développement psychologique et moral de sa personnalité comme l’estime de soi, la honte, le découragement, le sentiment de culpabilité et d’insécurité ou la difficulté à aller vers les autres ». 
Il déclare, par ailleurs, que le harceleur n’est pas non plus épargné. « A la limite, il peut souffrir du manque d’empathie, d’un étroit rapport à la violence, de la marginalisation, de l’échec scolaire, de la délinquance, des troubles sociaux et de la dépression ».

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