Conseil Supérieur de la Magistrature : Un organe constitutionnel visant l’indépendance de la justice entre les mains exclusives de l’exécutif au Sénégal.
Démonstration.
Le présent article se veut clair et précis pour une compréhension très facile du sujet traité.
Pour ce faire, il sera fait du droit comparé entre le Sénégal, qui se voit grand pays démocratique, à d’autres réelles grandes démocraties ayant réglé depuis longtemps ou sur la voie de régler la problématique de l’indépendance de la justice.
Il sera également, premièrement, apprécié les lois qui visent le conseil supérieur de la magistrature pour camper le décor.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il serait important de préciser le bien fondé du CSM et de ses missions, très sommairement.
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est un organe constitutionnel qui est mis en place et qui a pour but de garantir l’indépendance des magistrats de l’ordre judiciaire par rapport au pouvoir exécutif.
Il est plus spécifiquement chargé de la nomination des magistrats et de leur discipline.
Le CSM, en outre, appuie le chef de l’État dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Il donne un point de vue sur l’ensemble des nominations de magistrats.
Il se réunit en formation disciplinaire lorsqu’il est saisi de faits susceptibles de constituer des manquements disciplinaires d’un magistrat de l’ordre judiciaire.
Le Conseil peut élaborer et rendre public un recueil des obligations déontologiques des magistrats.
Au Sénégal, dans le TITRE VIII intitulé du pouvoir judiciaire, il est revenu très précisément sur l’indépendance de la justice.
L’article 88 de la constitution, en ce sens, dispose :
Article 88
Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par le Conseil constitutionnel, la « Cour suprême », la Cour des Comptes et les Cours et Tribunaux.
L’article 90 de la constitution renforce cette indépendance en estimant ceci :
Les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de leurs fonctions.
Les magistrats du siège sont inamovibles.
L’article 90 de la constitution revient sur le conseil supérieur de la magistrature et renvoie à des lois organiques pour en déterminer sa compétence, son organisation et son fonctionnement.
Pour plus de clarté, il est cité, dans son entièreté, l’article 90 de la constitution.
Article 90
Les magistrats autres que les membres du Conseil constitutionnel et de la Cour des Comptes sont nommés par le Président de la République après avis du Conseil supérieur de la Magistrature. Les magistrats de la Cour des Comptes sont nommés par le Président de la République après avis du Conseil supérieur de la Cour des Comptes.
Les juges ne sont soumis qu’à l’autorité de la loi dans l’exercice de leurs fonctions.
Les magistrats du siège sont inamovibles.
La compétence, l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la Cour des Comptes ainsi que le statut des magistrats de la Cour des Comptes sont fixés par une loi organique.
La séparation des pouvoirs ainsi que l’indépendance de la justice ont été bien garanties par la constitution, dans l’esprit.
C’est au niveau des lois organiques ou réellement le bât blesse.
Avant d’en venir au fond, il serait utile de revenir sur ce qu’est une loi organique.
Une loi organique a pour objet habituellement de préciser l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, conformément aux dispositions constitutionnelles.
Les lois organiques, dans la hiérarchie des normes, se situent au-dessus des lois ordinaires mais restent sous les lois constitutionnelles.
Au Sénégal, les lois organiques relatives au conseil supérieur de la magistrature sont les suivantes :
- Loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats ;
- Loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Quelques articles de ces lois vont nous intéresser pour démontrer ce qui pourrait être obstacle à l’indépendance de la justice tant chère aux sénégalais et prise en compte et garantie par la loi fondamentale.
Dans la Loi organique n° 2017-10 du 17 janvier 2017 portant Statut des magistrats,
TITRE PREMIER. – DISPOSITIONS
GENERALES
Article premier. – Les dispositions du présent statut sont applicables aux magistrats du corps judiciaire.
Chapitre premier. – Nomination, inamovibilité, serment, installation
Il est institué un article 6 qui dispose :
Art. 6. – Les magistrats du siège sont inamovibles.
En dehors des sanctions disciplinaires du premier degré, ils ne peuvent recevoir une affectation nouvelle, même par voie d’avancement, sans leur consentement préalable, sous réserve des dispositions des articles 90 et suivants de la présente loi organique.
Toutefois, lorsque les nécessités du service l’exigent, les magistrats du siège peuvent être provisoirement déplacés par l’autorité de nomination, après avis conforme et motivé du Conseil supérieur de la Magistrature spécifiant lesdites nécessités de service ainsi que la durée du déplacement.
Cette durée ne peut en aucun cas excéder trois ans.
S’il est rappelé avec insistance le sens de l’article 90 de la constitution à savoir l’inamovibilité du juge du siège qui est la garantie de son indépendance, l’alinéa 2 du présent article remet tout en cause par les nécessités de service
Ainsi, est-il possible de muter le juge du siège, contre sa volonté, s’il y’a nécessité de service.
L’utilisation de l’adverbe qui marque l’opposition entre deux choses liées ou entre deux aspects d’une même chose est assez illustrative.
L’article 4 de cette même loi organique est encore plus édifiant puisque qu’elle renseigne que toute la phase nomination des juges est entre les mains de l’exécutif.
Le chamboulement intervenu le vendredi 9 Août 2024 au Sénégal, à l’issue du conseil supérieur de la magistrature pourrait le confirmer.
L’article 4 dispose ce qui suit :
Art. 4. – Les magistrats du corps judiciaire sont nommés par décret sur proposition du ministre de la Justice, après avis du Conseil supérieur de la Magistrature.
Aux uns et autres de s’en faire leur propre religion.
Venons-en maintenant à la deuxième loi citée et convoquons les articles 7, 8 et 9.
Art. 7. – Pour la nomination des magistrats, l’avis du Conseil supérieur de la Magistrature est donné sur les propositions du ministre de la Justice, après un rapport établi par un membre dudit Conseil.
Art .8. – Lorsqu’il statue sur la nomination des magistrats, le Conseil supérieur de la Magistrature est présidé par le Président de la République.
Toutefois, sur autorisation du Président de la République, le ministre de la Justice peut présider le Conseil supérieur de la Magistrature.
Pour délibérer valablement, il doit comprendre, outre son président, au moins les deux tiers de ses membres.
En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante.
Section II. – Discipline des magistrats
Art. 9. – Le Conseil supérieur de la Magistrature est le conseil de discipline des magistrats.
A la lecture de tout ce qui précède, il est clair que l’implication de l’exécutif n’est pas que de présider le conseil supérieur de la magistrature.
Si même les magistrats font un travail exceptionnel, tous les jours, dans les innombrables palais de justice, cours et tribunaux ce pays, ils restent entre les mains de l’exécutif pour ce qui touche l’organisation de leur organe de fonctionnement et de l’évolution de leur plan de carrière.
Comparons, au demeurant, ce qui se fait ici et ailleurs notamment la France et, dans un degré moindre, les États-Unis.
Le Sénégal a calqué son droit à celui de France. Seulement, le droit sénégalais ne suit pas l’évolution du droit français dans bien des domaines.
Ces domaines sont ceux qui touchent à l’indépendance de la justice, le respect de droits fondamentaux, le rapprochement de la justice aux justiciables.
Pour rester court et simple puisque nous en avons assez dit ; même si la comparaison est d’une utilité remarquable pour comprendre que nous sommes moins soucieux de l’indépendance de la justice que de la surpuissance de l’exécutif, regardons l’évolution du droit en France pour une indépendance de la justice plus renforcée.
Avant 2008, le Président de la République français et son ministre de la Justice étaient membre du conseil supérieur de la magistrature.
Si le vocable conseil supérieur de la magistrature a été entendu la première fois en 1883 suite à la réforme de l’organisation judiciaire en France, il aura fallu attendre la 4eme république française l’autonomisation de cet organe constitutionnel.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature est dirigé par le Président de la République. Le Ministre de la justice en assure la vice-présidence.
C’est textuellement l’article premier de la Loi organique n° 2017-11 du 17 janvier 2017 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature au Sénégal.
Quelle ironie !!!
En France, le CSM a fonctionné ainsi jusqu’en1993.
La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 et la loi organique du 5 février 1994 transforment l’institution en créant deux formations, l’une compétente à l’égard des magistrats du siège, l’autre à l’égard des magistrats du parquet. Le Conseil demeure présidé par le président de la République, le ministre de la Justice en assurant toujours la vice-présidence. Les magistrats siégeant au Conseil sont désormais élus par leurs pairs. Le Conseil doit émettre un avis pour toutes les nominations des magistrats et se voit attribuer un pouvoir d’avis (qui n’est pas obligatoirement suivi) pour les nominations des magistrats du parquet, à l’exception de ceux dont les emplois sont à l’époque pourvus en Conseil des ministres (procureur général près la Cour de cassation et procureurs généraux près la cour d’appel).
Source Wikipedia.
Malgré ce changement qui visait à doter des magistrats de plus d’indépendance, les français n’étaient toujours convaincus de cette indépendance.
M. Jacques Chirac, alors Président de la République de la France, observait en 1997 que malgré la réforme du Conseil supérieur de la magistrature réalisée en 1993, « nos concitoyens soupçonnent la justice d’être parfois soumise à l’influence du Gouvernement et de ne pas suffisamment garantir le respect des libertés individuelles »
Aveu de taille mais également manifestation de la hauteur du chef de l’Etat sur des problématiques cruciales et volonté manifeste, de ce dernier, de travailler pour un État moderne et qui se veut État de droit. Le diagnostic n’étant pas faussé.
Il aura fallu attendre la réforme de 2008 pour voir le Président de la République français et son ministre de la justice sortir du Conseil Supérieur de la Magistrature.
C’est la constitution qui a été touchée en son article 65 qui fait sortir du CSM les deux autorités de l’Exécutif.
Une autre innovation des plus grandes et des plus consolidantes a été notée avec cette réforme.
A partir de 2008, en France, le CSM peut être saisie par tout justiciable de plaintes relatives aux conditions de fonctionnement des juridictions ou du comportement d’un juge.
Ça rappelle la QPC (questions prioritaires de constitutionnalité) qui permet, lors d’un procès, au justiciable d’écarter une loi qui est appliquée s’il estime qu’elle est contraire aux droits et libertés garantis par la constitution.
Il est donc possible de poser une question prioritaire de constitutionnalité avant que l’affaire ne soit vidée.
Réforme du Président de la République français, l’avocat Nicolas Sarkozy
Que c’est magnifique.
Ainsi, est-il permis, dans les deux cas, aux justiciables, pour qui le droit est rendu, de saisir directement le CSM et, relativement à la QPC, de contester, en plein procès, la constitutionnalité de la loi appliquée.
Si c’est à saluer et à magnifier ; parce que c’est beau le droit et que la relativité qui la sanctionne n’est ni spéculative encore moins discursive mais scientifique, au Sénégal l’application de cette mesure poserait problème dans la mesure où les enjeux primaires ne sont compris par la majorité des populations.
C’est pour cela qu’il est constaté, et c’est malsain, cette culture de la médiocrité et la banalisation aussi bien du savoir que de l’expérience.
La petite digression permet d’insister sur la nécessité de prioriser l’éducation et l’enseignement qui contribuent à doter d’un pays un niveau d’intellect souhaitable.
Pour terminer sur ce petit chapitre, le développement matériel d’un pays de même que la mise en œuvre de certaines politiques publiques nécessite un développement mental de la population.
Pour revenir sur l’évolution du CSM en France, il serait intéressant de lire le Projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution.
Sénat France
https://www.senat.fr/rap/l08-635/l08-635_mono.html#toc17
Aux Etats-Unis, tout aussi, la nomination de juges est faite par le Président de la République est validée par le Sénat. Ce qui est tout aussi très intéressant. La nomination n’est pas que la chasse gardée ou l’apanage de l’Exécutif.
Pour terminer brièvement sur le sujet, le dialogue sur la justice a été initié ici au Sénégal, il n’y’a pas longtemps, par le nouveau régime.
Une initiative à saluer et apprécier à sa juste valeur.
Le débat sur le maintien du Président de la République et du Ministre de la Justice au sein du Conseil Supérieur de la Magistrature, lors de ce dialogue, n’a pas été sanctionné par une unanimité des acteurs.
Il est préférable qu’ils quittent.
Il est bien de regarder le bon côté de la médaille à savoir le côté utilitaire de leur présence au sein de l’organe.
Toutefois, il serait anormal de ne pas regarder comment cet organe peut être un instrument pour solder des comptes.
Ce qui fait obstacle à toutes vertus démocratiques notamment l’indépendance de la justice.
Boubacar Mohamed SY
Juriste.
Écrivain
Auteur des livres :
- le Sénégal sous laser politique. Août 2023. Ed harmattan
Présidentielle 2024 au Sénégal : Échec et Mat. juillet 2024. Ed Harmattan.
Analyste politique.
Conseiller Municipal / Commune de Patte d’oie