Aux plans sanitaire, social, judiciaire et sécuritaire, le pays tente de se relever du drame de Sikilo. Retour sur une semaine mouvementée.
Du jamais vu. D’après le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, Mansour Faye, le drame de Sikilo, survenu dans la nuit du samedi au dimanche, est l’accident de la route le plus meurtrier de l’histoire du Sénégal. Il a fait 41 morts et 98 blessés, selon le dernier décompte officiel.
Mais cette tragédie a secoué des millions de personnes au pays et au-delà. Les messages et gestes de soutien à l’endroit du peuple sénégalais ont afflué de partout. Notamment de la Turquie où les joueurs d’Adana Demirspor, club de football de l’international sénégalais Pape Alioune Ndiaye, avaient arboré des brassards noirs lors de leur dernier match de championnat, lundi dernier, en hommage aux victimes qu’ils ne connaissaient ni d’Ève ni Adam.
Dans un élan collectif, plus ou moins synchronisé, le Sénégal s’emploie à panser sa profonde blessure avec l’espoir que la plaie cicatrise et guérisse. Trois jours de deuil national ont été observés lundi, mardi et mercredi. Et durant ces moments de recueillement et de moral en berne, l’État a décliné des débuts de réponses aux questions que soulève le drame aux plans sanitaire, social, judiciaire et sécuritaire.
Premiers secours
Durant les premières heures ayant suivi l’accident l’urgence était de sauver les blessés et préserver la dignité des victimes décédées. Chapeau aux habitants du village de Sikilo. Premiers sur les lieux de l’accident, ils ont percé à mains nues les entrailles des deux véhicules réduits en ferraille après leur collision, pour sauver ce qui pouvait l’être. Ils seront rejoints par les sapeurs-pompiers et les éléments de la Croix rouge de Kaffrine.
Trente-cinq morts ont été recensés sur place. Cent quatre blessés ont été évacués à Kaffrine. Quatre d’entre eux décèderont dès leur arrivée. La centaine restante sera répartie, selon la gravité de l’état des uns et des autres, entre le centre de santé de la ville (47 personnes) et l’hôpital Thierno Birahim Ndao (53).
La prise en charge des blessés a été rapide. Dix-neuf personnes ont pu bénéficier d’une intervention chirurgicale dès leur arrivée dans l’établissement de santé inauguré en mai dernier. «Ceci, grâce à l’appui d’une autre équipe médicale constituée de volontaires dont des professeurs venus de Dakar», a précisé dans L’Observateur le directeur de l’hôpital de Kaffrine, Dr Babacar Sène.
Ce dernier ajoute : «Avec une équipe de 260 personnes, l’hôpital dispose actuellement de tout ce qu’il faut pour la prise en charge des patients. Le ‘Plan blanc’, qui consiste à une prise en charge d’un afflux massif de patients, a été déclenché. Il faut aussi saluer la promptitude et le dévouement du personnel qui s’est mobilisé, toutes spécialités confondues, pour faire face au drame. Nous magnifions cependant l’élan de solidarité des populations kaffrinoises qui se sont mobilisées pour assister les malades et le personnel.»
Afflux de donneurs de sang
Cet élan de solidarité a permis de combler les besoins de sang de l’hôpital Thierno Birahim Ndao. Depuis le jour de l’accident, informe Wal fadjri, le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) reçoit chaque jour en moyenne 50 donneurs volontaires. «On sent une solidarité nationale, a salué un agent du CNTS interrogé par le journal. C’est une bonne chose. Et c’est un acte à reproduire tous les jours; on aura toujours besoin de sang dans les hôpitaux.»
Un écueil cependant : l’identification des victimes décédées. Dix dépouilles n’étaient pas encore identifiées mardi dernier. «Nous avons lancé un appel et demandons aux parents des victimes de venir nous aider à identifier et récupérer les corps sans vie», avait glissé dans L’Observateur le directeur de l’hôpital de Kaffrine.
Si deux patients ont succombé à leurs blessures, ce qui porte à ce jour (vendredi 13 janvier) à 41 le nombre de morts, les professionnels de santé reconnaissent que la qualité de la prise en charge médicale a permis de limiter les dommages corporels de l’accident de Kaffrine.
Cette prise en charge a été étendue aux familles des victimes. «Dans notre dispositif, je m’occupais du rétablissement des liens familiaux (RLF), a confié dans L’Observateur le secrétaire général de la Croix rouge de Kaffrine, Ndongo Baba Ndao. Mon rôle était d’identifier les corps sans vie. J’étais de ce fait en contact permanent avec les parents des victimes. Je leur apportais une assistance psychologique. Ils en avaient besoin car, ils étaient complètement dévastés, inconsolables.»
En outre, le ministère du Développement communautaire, de la Solidarité nationale et de l’Équité sociale et territoriale a dégagé une enveloppe de 200 millions de francs CFA pour les blessés et les familles des victimes décédées. Les premiers ont reçu chacun un million de francs CFA et les secondes deux millions individuellement.
Enquête de gendarmerie
Après que les secours ont évacué les corps sans vie et les blessés, les éléments de la gendarmerie, chargé de l’enquête, ont investi les lieux du drame pour relever le moindre indice pouvant permettre de savoir ce qui s’est passé. Les premiers éléments recueillis font ressortir une série de défaillances humaines. Les propriétaires des deux véhicules entrés en collision en paient déjà le prix. Ils sont en ce moment en garde à vue.
D’après Libération, les mis en cause ne disposaient pas de l’agrément pour mener l’activité de transport routier. L’un est poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui et pneumatique défectueuse. D’après les témoignages repris par les médias, l’éclatement du pneu avant gauche de sa voiture est à l’origine du drame. Après cet incident, le véhicule, qui venait de Tamba, s’est déportée sur l’autre voie et a violemment heurté le bus qui venait de Dakar.
Le propriétaire de celui-ci est, pour sa part, poursuivi pour abandon d’un véhicule à un tiers non titulaire du permis de conduire de catégorie D (valable pour les bus de transport) et défaut d’assurance.
L’enquête de la gendarmerie devrait permettre de tirer tout cela au clair. Ainsi, l’opinion publique sera édifiée et les blessés et les familles des victimes pourront entreprendre les démarches pour obtenir réparation auprès des assureurs des deux voitures entrées en collision. Le procès-verbal de l’enquête de la gendarmerie étant indispensable pour prétendre à une indemnisation de la part des sociétés d’assurance concernées.
22 mesures pour la sécurité routière
Après avoir décrété trois jours de deuil national, le Président Macky Sall s’était rendu dimanche dernier à l’hôpital de Kaffrine. Il a prié pour les personnes décédées, souhaité un prompt rétablissement aux blessés et annoncé la tenue dès le lendemain d’un Conseil interministériel au sortir duquel des «mesures fermes» seront prises pour garantir la sécurité routière.
La rencontre a tenu sa promesse. Vingt-deux mesures ont été adoptées et la plupart corse les conditions d’exercice du transport de passagers et de marchandises. Parmi les décisions prises, certaines retiennent particulièrement les attentions. Il est désormais interdit de rouler d’une ville à l’autre entre 23 heures et 5 heures. La durée d’exploitation des véhicules de transport de personnes est fixée à 10 ans tandis que celle des voitures de transport de marchandises est de 15 ans.
L’importation de pneus d’occasion est désormais punie par la loi. Tout comme la transformation des véhicules de transport en commun pour en augmenter le nombre de places ou pour intégrer un porte-bagage. Les compteurs des voitures de transport en commun seront bloqués à 90 km/heure. L’âge minimum pour être titulaire d’un permis de conduire pour les véhicules de transport de personnes est porté à 25 ans tandis que pour être au volant d’un véhicule de transport de marchandises il faut avoir minimum 23 ans…
Sept des vingt-deux mesures sont entrées en vigueur hier. Quatre prendront effet dans une quinzaine de jours et une sera effective dans trois mois. «L’espace temporel n’a pas été précisé pour les onze mesures restantes, mais nous allons les considérer comme étant des mesures qui seront appliquées soit dans l’immédiat pour certaines ou dans le court terme pour d’autres», a précisé dans L’Observateur le ministre des Infrastructures, des Transports terrestres et du Désenclavement, Mansour Faye.
Grogne des transporteurs
Réagissant à ces mesures, le secrétaire général des transporteurs routiers du Sénégal, Gora Khouma, estime que l’interdiction de l’augmentation de la capacité des véhicules et le bannissement des porte-bagages vont impliquer une augmentation des tarifs. «C’est un manque à gagner par rapport aux frais sur le trajet, dans les garages, etc.», pointe le transporteur.
«Forcément, on va augmenter les prix du transport, appuie son collègue Momar Sourang. Si aujourd’hui les véhicules sont dans l’état où ils sont, pour la plupart, c’est parce qu’on n’a pas des tarifs justes. C’est par là que l’État devait commencer au lieu de mettre en place des mesures qui seront difficile à mettre en œuvre. Si l’État refuse d’augmenter les prix, on immobilisera les véhicules.»
Mansour Faye n’en croit pas un mot. «À mon avis, il n’y aura pas de grève. D’autant que les acteurs étaient présents à la rencontre. L’approche serait la concertation pour accompagner l’application de ces mesures. Elles seront mises en œuvre. Il n’y a pas l’ombre d’un doute. Maintenant, nous allons apprécier le déroulement du processus. Mais vu la réaction des acteurs, celle des consommateurs, celle de la société civile, je pense fortement que le processus ne souffrira d’aucun problème.»
L’objectif étant que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets ?