La Banque des États de l’Afrique centrale est à nouveau au cœur d’une vive polémique liée au processus de recrutement de ses agents. Accusé de népotisme, le gouverneur tchadien Abbas Mahamat Tolli est dans la tourmente. Jeune Afrique livre les détails de l’affaire.
Dans un courrier daté du 1er août et adressé au gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, le Centrafricain Hervé Ndoba a instruit “de surseoir, de manière immédiate, [au] processus de recrutement” en cours au sein de l’organisation. Président du comité ministériel de l’Union monétaire d’Afrique centrale et actuel patron du conseil d’administration de la BEAC, celui-ci explique prendre cette décision en réaction à “des situations dont il est certain qu’elles portent indubitablement et gravement préjudice à l’image de la Banque”.
Hervé Ndoba réagit plus précisément aux derniers soupçons nés de l’organisation du concours de recrutement des agents d’encadrement supérieur de la BEAC. Les épreuves écrites du concours ont eu lieu le 28 mai, et les entretiens oraux des candidats admissibles devaient se tenir à Paris et à Yaoundé du 29 août au 4 septembre prochains. Seulement, de forts soupçons de népotisme sont venus entacher la crédibilité de la première phase.\
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Abbas Mahamat Tolli fait de la résistance
Selon des documents en la possession de Jeune Afrique, sur les 36 candidats de nationalité tchadienne reçus à l’écrit, treize seraient liés ou directement apparentés à Abbas Mahamat Tolli lui-même. Parmi les treize personnes cristallisant les soupçons, figurent notamment son épouse, Fatimé Zara Saleh Djouma, un gendre, Imrane Gueillet Hemchi, plusieurs cousins, des neveux ainsi que le fils d’un ancien collaborateur au ministère tchadien de l’Économie.
Outre l’entourage d’Abbas Mahamat Tolli lui-même, d’autres personnalités sont également visées par des soupçons, notamment le vice-gouverneur camerounais Dieudonné Evou Mekou et le secrétaire général sortant gabonais Désiré Guedon, dont les fils ont eux aussi été déclarés admis après la phase écrite du concours.À LIREEnquête sur les coulisses d’une « guerre » au sommet de la Cemac
Dans une réponse à Hervé Ndoba, datée du 2 août, Abbas Mahamat Tolli ne répond pas directement aux accusations, qu’il juge trop peu documentées. “Je voudrais regretter que vous n’ayez fourni aucune illustration des situations censées porter préjudice à l’image de la Banque”, écrit ainsi le gouverneur tchadien. Celui-ci ajoute, surtout, qu’il est de sa compétence de “recruter, nommer et révoquer” le personnel de la BEAC et qu’”aucun organe ne saurait s’immiscer” dans ces attributions. Abbas Mahamat Tolli refuse ainsi de suspendre le processus de recrutement en cours.
Contacté par Jeune Afrique, le cabinet du gouverneur de la BEAC affirme quant à lui que « les accusations de népotisme sont totalement infondées ». « Le concours de recrutement est ouvert à tous les citoyens de la Cemac remplissant les critères d’éligibilité. Le processus est conduit par des structures ad hoc internes à la Banque, en plus d’un cabinet de recrutement international. Il est également à noter que le recrutement ne se situe encore qu’à la phase des tests écrits. Il reste d’autres étapes du concours avant la proclamation des résultats définitifs », explique-t-il.
Retards, copies indisponibles et risque de fraude
Organisé par le cabinet AfricSearch de Didier Acouetey, alors qu’il l’était auparavant par la société Apave, le concours de la BEAC a pourtant fait l’objet de nombreuses critiques. Dans une note interne en possession de Jeune Afrique et transmise au gouvernorat trois jours après les épreuves organisées le 28 mai, le directeur général du Contrôle général de la BEAC, le Centrafricain Bienvenu Marius Roosevelt Feimonazoui, alerte ainsi – en particulier pour ce qui est du centre d’examen camerounais – sur des retards de plusieurs heures, l’absence d’éclairage, l’indisponibilité de copies, l’impossibilité pour des candidats de passer l’épreuve dans la langue choisie…
ABBAS MAHAMAT TOLLI ESTIMERAIT ÊTRE VICTIME D’UNE MANŒUVRE POLITIQUE
“Il ressort de ces événements que le concours (…) a été entaché de nombreuses irrégularités ne donnant pas à tous les candidats les mêmes opportunités de réussite, ayant entraîné un risque de fraude important et entamant fortement l’image de marque de la Banque”, écrit notamment le directeur général du Contrôle. Celui-ci, en conclusion, préconise une annulation et une reprise complète des épreuves pour l’ensemble des centres d’examen. Il ne sera toutefois pas écouté.À LIREBitcoin en Centrafrique : l’heure de vérité pour Bangui à la BEAC
Dans sa réponse à Hervé Ndoba, le 2 août, Abbas Mahamat Tolli, isolé et très critiqué au sommet des États-membres de son organisation, se veut au contraire rassurant. “Le processus de recrutement est conduit et organisé de bout en bout par un cabinet international de grande réputation et choisi par voie d’appel d’offres international, qui bénéficie pour cela de l’appui d’une commission ad hoc au sein de la Banque”, écrit-il, avant de refuser de suspendre le processus de recrutement au nom du “sacro-saint principe de l’indépendance” du gouvernorat de la BEAC.
Toujours selon nos sources, Abbas Mahamat Tolli estimerait être victime d’une manœuvre politique venue de la Centrafrique et exécutée par les Centrafricains Bienvenu Marius Roosevelt Feimonazoui et Hervé Ndoba. Le gouverneur de la BEAC s’est en effet récemment opposé à Bangui quant à la création de la nouvelle cryptomonnaie centrafricaine, voulue par le président Faustin-Archange Touadéra.