Économie : Gloire et déboires de la Compagnie Sucrière Sénégalaise, de sa création à nos jours.
La Compagnie sucrière sénégalaise souffle cette année, sur sa 52e bougie. C’est plus d’un demi-siècle d’existence au cours de laquelle, il lui était assignée, comme mission, d’amener le Sénégal au cercle des pays qui ont acquis l’autosuffisance en sucre. Après plus de 40 ans de monopole, qu’est ce qui a empêché Mimran d’atteindre l’objectif qui lui était fixé ? Et ce, alors que la Css a eu droit à 4 avenants visant à apporter de nouvelles modifications à la convention d’établissement du 29 Juin 1970, date de la création de la Css.
Ce sont, au minimum 18 000 tonnes de sucre qui sont consommées par mois, par les Sénégalais. La commercialisation de ce produit très prisé, une des denrées de première nécessité, a fait que le patron de la Compagnie sucrière sénégalais (Css), Jean-Claude Mimran et l’Unacois-Jappo sont à couteaux tirés. La tutelle a été pointée du doigt par M. Mimran qui lui reproche le fait de délivrer, à tour de bras, des Déclarations d’importation de produits alimentaires (Dipa). Ce qui, selon lui, fait que sa société risque une cessation de paiement. Ces propos, loin de laisser les autorités étatiques de marbre, ont fait réagir le ministre chargé du Commerce, Aminata Assomme Diatta. Cela a aussi poussé Dakaractu à revisiter l’histoire de la Css.
La rédaction revient, alors, sur cette série d’avenants signés en 44 ans, au profit de la Css, en faisant un petit survol des grandes dates marquantes de l’histoire de cette unité de production basée à Richard-Toll. Un regard dans le rétroviseur a fait apparaître la genèse faite, il y a près de 10 ans, par nos confrères de Financialafrik, de la création de ce qu’est aujourd’hui, la Css. Tout commence véritablement en 1822, avec Jacques François Roger plus connu sous le nom de ‘’Baron Roger’’, gouverneur du Sénégal de l’époque qui entreprend de créer un jardin d’essai à côté du premier noyau de la ville de Richard-Toll. C’était les premiers jalons de ce qui allait conduire à la création, en 1966 de l’Institut de recherche agronomique tropical (Irat). Celui-ci, après des essais effectués pour l’implantation de la canne à sucre à Richard-Toll, a trouvé les tests concluants. Et c’est entre 1970-1972 qu’a eu lieu, la signature d’une convention d’établissement entre le gouvernement du Sénégal et la Css.
148 ans de gestation à l’origine de la Css
Cette convention, signée sous le régime du président Senghor, a été approuvée par le décret n° 70-898 du 20 juillet 1970, puis renforcée par le décret 72-116 du 21 février 1972. La Css venait de voir le jour, à Richard-Toll (région de Saint Louis), soit à 370 km de Dakar. Cette convention signée lui garantissait le monopole de la production et la vente du sucre ainsi que l’exonération d’impôt sur le chiffre d’affaires et la réévaluation annuelle du prix de sucre. L’une des clauses prévoyait que la Css remplace progressivement l’importation par la production locale. Et c’est en 1975 que l’actuel patron de la Css, Jean Claude Mimran, va succéder à son père Jacques, fondateur de l’Usine.
La teneur de ces conventions, Abdoulaye Basse l’a dévoilé, dans son sujet présenté à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis. C’était dans le cadre de sa Maitrise en droit de l’entreprise en 2004, où il est revenu sur les caractéristiques de la Convention d’établissement du 29 juin 1970, d’une part et celles relatives aux différents avenants modifiant ladite convention.
À ce propos, rappel a été fait des deux étapes importantes ayant marqué, de façon considérable et indélébile, le processus de création du marché du sucre au Sénégal. Il s’agit de celle caractérisée par une situation de monopole conférée à la Css, par les textes réglementaires, notamment la convention d’établissement du 29 juin 1970 modifiée à quatre reprises. Des règles caractérisées, pour l’essentiel par leur caractère protectionniste, influaient considérablement sur la composition des acteurs du marché et les modes de détermination du prix du sucre au niveau local.
Cet acte fort de Macky Sall qui met fin à certaines faveurs de la Css
Cependant, tout n’a pas été favorable à la Css. La preuve, selon Financialafrik, en juin 2012, le gouvernement de Macky Sall a décidé de retirer officiellement, à la Css, le droit d’importation du sucre blanc. Cela pour ramener le groupe dans sa vocation de toujours : produire localement pour satisfaire le marché local. Selon les statistiques de cette période, la production de la Css avait atteint les 73 200 tonnes à la fin 2013 contre 47 000 tonnes en 1978.
Nous sommes en 2014. Cette entreprise de Mimran, une nouvelle fois mise sous pression par l’État afin qu’elle revienne à sa vocation initiale, se lance dans son projet KT 150 pour produire 150 000 tonnes avec un investissement de 90 milliards F Cfa. Mais elle exige de l’État 4 000 hectares dans la communauté de Mbane.
Relativement à ces caractéristiques évoquées dans cette convention cadre, l’on peut retenir deux grands points. Ils portent, d’une part, sur les règles protectionnistes de la convention d’établissement du 29 juin 1970 et d’autre part, aux différentes modifications apportées au texte initial.
Concernant lesdites règles protectionnistes, il a été relevé la nécessité d’un investissement de neuf milliards de F Cfa, au moins pour la réalisation de ce projet, d’une part, pour assurer l’équilibre extérieur de l’économie et d’autre part, pour augmenter le bénéfice social que l’économie du Sénégal tire de cette région. Pour cette raison, renseigne la même source, ‘’il a fallu nécessairement définir un certain nombre de garanties juridiques et d’avantages fiscaux conférés à la Css pour favoriser son développement. Il était aussi prévu qu’elle allait bénéficier d’un bail emphytéotique d’une durée de 99 ans sur les terres qu’elle aura à exploiter’’.
Ces garanties juridiques et avantages fiscaux conférés à la Css pour favoriser son développement
Cela apparait dans les dispositions de l’article 1 alinéa 2 de ladite convention qui stipule : ‘’Les terres sur les quelles seront établies les installations agro-industrielles de la société resteront la propriété de l’État. Ces terres seront louées à bail emphytéotique, pendant une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans à la société pour la somme symbolique d’un franc’’. En outre, une gratuité dans l’approvisionnement et l’utilisation des eaux du Sénégal et du lac de Guiers a été également accordée à la Css.
Pour mener à bien ses activités, l’État s’est constitué en véritable bouclier pour mettre la Css à l’abri de toute concurrence. Pour preuve, l’article11 de la convention initiale obligeait l’État ‘’à édicter des normes contraignantes et restrictives de concurrence afin de mettre la Css dans une situation de monopole sur le marché national relativement à la production de sucre. De même, cet article faisait état de la position prise par l’État de ne pas accorder d’agrément à toute autre entreprise potentiellement concurrente de cette compagnie.
Pour ce faire le gouvernement s’était engagé à prendre toutes les mesures contraignantes devant permettre à la société créée d’écouler sa production destinée à assurer de façon prioritaire la couverture de la consommation nationale.
Beaucoup de facilités avaient été accordées à la Css. C’est le cas pour son approvisionnement en combustible conformément à l’article 14 qui rappelle l’engagement du gouvernement ‘’à permettre à la société d’obtenir, à un prix tout au plus égal au prix international, la totalité de ses besoins en fuel-oil nécessaires à la réalisation de son programme’’. La Css bénéficie, en outre, de garanties financières relatives au mouvement de capitaux entre le Sénégal et les pays de la Zone franc ; d’exonération sur les Bénéfices industries commerciaux (Bic) ; sur les patentes et annexes ; sur la contribution foncière des propriétés bâties et non bâties et taxes annexes. C’est dire que cette convention étendait l’ensemble de ces avantages fiscaux aux filiales créées pour participer à la réalisation du programme confié à la société mère.
En définitive, l’on peut dire que cette convention initiale comporte de nombreuses dispositions qui présentent un caractère purement avantageux pour la Css. Cela s’explique, en son temps, par le fait qu’il fallait lui donner les moyens financiers, juridiques nécessaires à la réalisation du complexe sucrier de Richard-Toll.
Quand l’État ferme les yeux face aux ‘’mouvements de capitaux …’’
Du fait de l’évolution économique de la situation de la Css et de l’économie nationale, ce texte a subi diverses modifications nécessaires à sa réadaptation. Les différentes modifications apportées au texte initial, constituent le second point crucial développé.
À ce sujet, quatre avenants ont été signés afin d’apporter de nouvelles modifications à la convention d’établissement du 29 Juin 1970. L’avenant N°1 du 18 février 1972 a apporté une modification à cette convention. Celui-ci entendait modifier, sur la demande de la Css, certaines dispositions relatives aux conditions d’utilisation des ressources en eaux pour ses besoins. La gratuité était certes maintenue, mais l’emploi de cette eau était mieux réglementé.
En ce qui concerne les conditions d’approvisionnement sur le marché international du sucre nécessaire à la réalisation des objectifs assignés, les dispositions restaient maintenues. Les modifications apportées à l’article 19 étendaient le champ d’application de ces exonérations.
Ensuite arrive l’avenant N°2 du 07 décembre 1984 à la convention modifiée le 18 février 1972. La signature de cet avenant d’une durée de 10 ans approuvé par le décret 84- 1450 du 7 décembre 1984 entrait dans le cadre d’une adaptation des clauses conventionnelles de 1970 devenue nécessaire avec l’évolution de la situation économique générale et l’arrivée de la Css à un niveau de production performant. À travers ces nouvelles dispositions plus restrictives que les textes antérieurs, la Css s’était vue soumise à l’exécution de nouvelles clauses contraignantes.
Ce bail d’une durée de 99 ans sur les terres de la Css au franc symbolique
L’exclusivité dans les importations de sucre roux restait maintenue. Toutefois, les parties étaient convenues qu’à compter du 1er août 1986, la société ne sera plus autorisée à importer du sucre roux pour atteindre lesdits tonnages, sauf en cas de force majeure. À la lecture de ces nouvelles dispositions, on constate que le gouvernement voulait restreindre les possibilités d’importation offertes jadis à la Css.
Dans la même lancée est intervenue la signature d’un 3e avenant. Celui-ci, approuvé par la décret n° 87- 679 du 22 mai 1987, a été précédée par la signature d’un protocole d’accord le 3 mars de la même année. Au terme de celui-ci et conformément aux dispositions arrêtées par les parties lors de la signature du protocole d’accord, de nouvelles modifications ont été apportées à l’art.3 de la convention d’établissement : d’une part, la société s’engageait à satisfaire à partir de la canne locale la totalité de la consommation nationale avant le 1 août 1987, d’autre part elle conservait le monopole sur l’importation du sucre roux et du sucre blanc.
Un 4e avenant N°4 a été signé à la date du 1er décembre 1992. À travers sa signature, les parties ont voulu harmoniser l’ensemble des dispositions antérieures et nouvelles de la convention dont la durée a été prorogée jusqu’au 31 octobre 2000 et celle de certains de ses effets au 31 octobre 2005. Contrairement aux avenants 2 et 3, celui-ci présentait un caractère favorable à la Css dans la mesure où il venait compenser la perte d’un certain nombre d’avantages qui lui étaient accordés auparavant. Ces règles ont eu des incidences sur le marché.
La claque de la tutelle à Jean-Claude Mimran
25 ans après, sa création, la Css bénéficiait encore des faveurs de l’État. En 1995, débute la période de la libéralisation, mais l’immixtion très forte de l’État dans la régulation du marché constituait le principal obstacle à une multiplicité des sources locales d’approvisionnement en sucre. En d’autres termes, cet interventionnisme ne favorisait pas l’arrivée de nouveaux acteurs pouvant concurrencer directement la Css. Le marché du sucre restait encore placé sous le signe de la concurrence interdite.
Dans son sujet de mémoire développé à l’École polytechnique de Thiès, Sénégal – Ingénieur 2008, Mouhamadou Niang, a fait état de la capacité de 1 million de tonnes de canne à sucre de la Css, selon les rendements agricoles actuels, et de 100 000 tonnes de sucre par an qui a généré un chiffre d’affaires de 60 milliards de F Cfa en 2006. Ladite boite comptait selon lui, 5 800 employés en 2007 (dont 2 700 permanents) pour une masse salariale de plus de 12 milliards par an.
La Css a fait part, dans son site, qu’elle s’étend sur plus de 12 000 ha dans la vallée du fleuve Sénégal et qu’elle a actuellement, une capacité de production de 145 000 tonnes de sucre par an (depuis 2008) avec l’aboutissement du projet KT150. Et qu’elle ambitionne d’atteindre 200 000 tonnes à l’horizon 2020/2023 avec le futur projet KT200 pour atteindre l’autosuffisance en sucre du pays. Une autosuffisance qui nécessite la disponibilité, d’au moins 216 000 tonnes de sucre par an.
La preuve de l’incapacité de la Css à couvrir les besoins actuels en sucre des Sénégalais
À noter que la rareté du sucre sur le marché, en cette période de jeûne pour les fidèles musulmans et chrétiens, et la sortie médiatique de Jean-Claude Mimran constituent deux éléments qui ont relancé le débat. Une situation qui a poussé l’Unacois-Jappo, à travers la voix de son vice-président, à s’insurger contre Mimran et à dénoncer la cherté du prix du sucre vendu par la Css.
En réaction à ces accusations, le ministre du commerce, Aminata Assomme Diatta a haussé le ton pour demander à la Css qui dit traverser aujourd’hui, des difficultés d’aller chercher les raisons ailleurs et non dans les Dipa. ‘’Je rappelle lors de mon arrivée à la tête du département ministériel en 2019, le gap des Dipa était estimé à 30 000 tonnes et la Css avait importé les 10 000 tonnes. En 2020 aussi, nous avions autorisé 60 000 tonnes et parmi ce nombre, la Css avait importé près de 20 000 tonnes, malgré les agissements qui étaient notés. Et en 2021, ce qui était prévu en terme de gap n’a pas été importé, parce qu’il y avait une tension au niveau international et la Css avait augmenté dans son quota 15 000 tonnes, alors que les autres commerçants n’avaient même pas augmenté tout ce dont ils avaient besoin en sucre. Donc si la Css cherche à justifier ses difficultés par les Dipa, cela ne colle pas avec la vérité des faits’’, a-t-elle répondu.