Politique

[Portrait] Cheikh Niass : Au nom du père et du peuple

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Seneweb rediffuse ce portrait consacré au PDG du groupe Walf, Cheikh Niass, alors que l’existence de l’empire médiatique fondée par son père, Sidy Lamine, est plus que jamais menacée après le retrait de sa licence par l’État. 

Le 13 janvier 2024 a marqué le 40e anniversaire du groupe Walfadjiri. Depuis 2018, Cheikh Niass dirige avec détermination cette institution. Fils du regretté Sidy Lamine Niass, il s’emploie chaque jour à perpétuer cet héritage afin de consolider la position du groupe comme “La voix des sans voix”. Une mission exigeante et essentielle.

Par son architecture distinctive, ses ornements et sa riche histoire, l’édifice du groupe de presse Walfadjri capte inévitablement l’attention. Niché sur la route du Front de terre, il se dresse comme le joyau architectural prédominant de la zone. Ses murs, témoins du temps, affichent fièrement les divers supports médiatiques du groupe, ainsi qu’une représentation du père fondateur, Sidy Lamine Niass, portant sa devise indéfectible : “Notre patron, c’est le peuple”. Emporté par le destin le 4 décembre 2018, Sidy Lamine Niass est honoré à travers une mosquée érigée au cœur de cet édifice, baptisée “Mosquée Al Qalam-Sidy Lamine Niass”.

À mesure que l’ascenseur s’élève, le mélodieux thème du film “Chariots of Fire”, maintes fois diffusé par le média lors des moments marquants au Sénégal, enveloppe l’espace. Arrivé au 4e étage, nous sommes accueillis par Cheikh Niass, le Président Directeur Général de Walfadjri. Vêtu d’une tenue décontractée, il nous invite chaleureusement dans son bureau. “À l’exception de ce salon, tout demeure presque identique depuis le décès de mon père”, confie-t-il, confortablement installé dans un fauteuil vert, délaissant volontiers le bureau en bois qui lui est attribué. “Je n’occupe guère cette place de PDG. Vous constaterez que je préfère toujours ce fauteuil”, poursuit-il, évoquant avec émotion la présence subtile mais palpable de son défunt père.

Depuis le départ de son père, en tant qu’aîné des garçons, Cheikh Niass a assumé avec dévouement les responsabilités de cette fonction prestigieuse. Alors avocat au barreau de Paris, il a spontanément démissionné de son poste pour se rendre aux funérailles.

Cheikh Niass, un parcours tracé par Sidy Lamine Niass

Un retour qu’il aurait souhaité entreprendre bien avant cette funeste nouvelle, mais découragé par son père qui préférait affronter seul son destin : “Quand il a été frappé par cette brève maladie, je l’ai eu au téléphone deux semaines avant son trépas. J’avais ardemment l’intention de lui apporter mon soutien. Toutefois, il m’assura que ce n’était qu’une épreuve passagère. En réalité, il souhaitait nous préserver de cette réalité inéluctable, sachant que son temps touchait à sa fin”. Au premier coup d’œil, la ressemblance faciale entre lui et son géniteur est saisissante. 

Cependant, leurs chemins divergent quant à leur aspiration professionnelle. Si Cheikh Niass nourrissait l’ambition d’exercer en tant que pilote de ligne ou producteur audiovisuel, Sidy Lamine Niass l’orienta fermement vers des études juridiques, envisageant pour lui une carrière d’avocat tout en lui permettant de cultiver ses passions. Pour Sidy Lamine Niass, la voie de l’avocature offrait des perspectives plus épanouissantes que les aspirations initiales de son fils. Conformément à cette guidance, Cheikh Niass s’inscrit à l’illustre Université de la Sorbonne à Paris. Une fois son Master en droit en poche, il regagne Dakar avec la ferme intention de se consacrer à la production. 

Il fonde ainsi Cheikh Niass Productions (CNP), réalisant divers films, séries et talk-shows. “Cependant, après deux ans d’activité, j’ai réalisé que cela ne présentait pas de rentabilité. Les dépenses s’accumulaient sans perspectives de bénéfices”, confie-t-il. Sous les conseils avisés de son père, il retourne en France pour se préparer à l’examen du barreau, qu’il réussit brillamment, embrassant ainsi la profession d’avocat. Ironiquement, ce qui ne figurait pas initialement parmi ses priorités est devenu le levier de ses passions. “En embrassant la carrière d’avocat, j’ai bénéficié d’une stabilité financière. Cela m’a permis de poursuivre mes activités de production tout en assouvissant ma passion pour l’aviation durant les week-ends”.

Les défis d’une succession

Celui que son fils percevait comme un mentor, un érudit et un guide spirituel a laissé un profond héritage qui marque son absence. Sidy Lamine Niass, véritable pierre angulaire de ce groupe de presse, semblait, de son vivant, orchestrer méticuleusement sa succession. Cheikh Niass révèle que, par le biais de conversations téléphoniques approfondies, une transmission minutieuse des nuances du groupe s’était intensifiée à l’approche des derniers moments de son père. “J’étais intimement familiarisé avec chaque détail de la maison. Mon père me fournissait des rétroactions détaillées, capturant précisément l’essence des discussions grâce à son aptitude inégalée à synthétiser”, se remémore-t-il avec émotion. 

Cette démarche s’avérait non seulement essentielle mais également avantageuse pour Cheikh, qui, bien qu’ayant accédé à la direction à un âge tendre (30 ans en 2018), n’avait pas pour dessein de révolutionner les méthodes établies. Au contraire, la préservation de la ligne éditoriale et la continuité demeuraient pour lui des priorités inébranlables. Ainsi, il a choisi de maintenir une équipe solide tout en réintégrant d’anciens collaborateurs. Avec une force de travail dépassant les 200 individus, les défis financiers se sont rapidement imposés à ce jeune dirigeant. 

Un an après avoir pris les rênes, la pandémie de Covid-19 est apparue comme son premier test majeur. “Face à une activité en berne, de nombreuses entreprises se résolvent à réduire leur personnel ou leurs dépenses. Cependant, nous avons su naviguer sur ces eaux tumultueuses sans compromettre notre masse salariale ou nos obligations financières”, évoque-t-il avec fierté. Parler de Cheikh Niass aujourd’hui équivaut à évoquer Walfadjri, tant sa figure demeure indissociable de cet illustre héritage.

Walfadjri vs L’Etat : Une relation conflictuelle de père en fils

Les vicissitudes persistent. Depuis son avènement, Walfadjri s’est constamment érigé en tant que contrepoids médiatique. Un engagement fervent que Cheikh Niass s’efforce de préserver, suscitant ainsi des désaccords récurrents avec les autorités gouvernementales en exercice. L’année 2023 a été tumultueuse pour cette entité médiatique éminente. À deux reprises, le signal télévisé de Walf TV a été subitement interrompu. En juin dernier, une sanction d’une durée d’un mois a été infligée à cette chaîne, un fait sans précédent dans son histoire illustre.

En qualité de gardien du temple, Cheikh Niass n’a pas ménagé ses efforts pour dénoncer ce qu’il perçoit comme une “tentative d’asphyxie” orchestrée par les autorités étatiques. Dans cette optique, le groupe a saisi les instances judiciaires nationales depuis juin dernier. “Nous sommes engagés dans une procédure judiciaire contre l’État afin de mettre un terme à ces entraves. Ces interruptions de signal nous portent gravement préjudice et entravent notre capacité à exercer”, souligne-t-il. Bénéficiant d’un soutien populaire, Walfadjri a vu une vague de solidarité conséquente naître à la suite de cette sanction de juin.

Une cagnotte, ayant amassé près de 40 millions et visant à pallier les difficultés financières engendrées par ces mesures restrictives, a vu le jour avant d’être suspendue par Wave sur instruction étatique. “Il est important de comprendre que nos rares annonceurs actuels hésitent à nous soutenir à long terme. L’incertitude plane quant à la pérennité de Walfadjri”, déplore Cheikh Niass. Cette situation financière précaire s’avère préjudiciable pour l’avenir du groupe.

Le fonds d’appui à la presse ou la “Mafia d’Etat”

Il est communément admis que le secteur de la presse au Sénégal traverse des temps particulièrement précaires, une fragilité exacerbée par la pandémie de Covid-19. Dans un élan de solidarité envers les médias, l’État du Sénégal a institué le Fonds d’Appui à la Presse, anciennement désigné sous l’appellation “aide à la presse”. Pour l’exercice 2023, ce fonds a été doté d’un budget conséquent de 1,9 milliards de FCFA. Néanmoins, l’allocation de cette somme a suscité l’indignation de Walfadjri. En effet, par l’intermédiaire de son PDG, la chaîne s’est sentie “discriminée”, se voyant attribuer 20 millions de FCFA, soit une réduction de 50 millions par rapport à l’année antérieure.

Le ministre de la Communication a légitimé cette décision en mettant en exergue les sanctions infligées au groupe et ses performances médiocres durant l’année écoulée. Toutefois, Cheikh Niass réfute fermement cette justification en mettant en lumière les failles de transparence du processus : “Lors de la première édition de ce Fonds, nous avions été invités à soumettre un dossier. Pour cette année, bien que constamment en contact avec le ministère de la Communication, aucune échéance ne m’a été communiquée, nous excluant ainsi cette année”.

Le 5 décembre dernier, le dirigeant de Walfadjri a sollicité une entrevue avec le ministre de la Communication, Me Moussa Bocar Thiam, dans l’espoir de trouver un terrain d’entente. Cette rencontre a conduit à une proposition de contrat de partenariat entre les deux entités, proposition que Cheikh Niass a déclinée, évoquant : “Aucun ministre de la Communication, y compris ses prédécesseurs, n’a jamais conclu de partenariat formel avec Walfadjri. Les promesses formulées à quelques mois de la fin d’un mandat sont vaines”.

Face à cette situation, le successeur de Sidy Lamine Niass exhorte le ministre à privilégier une démarche de réconciliation plutôt qu’à persévérer dans une “logique belliqueuse d’ostracisation des organes de presse”. Malgré une intervention du chef de l’État, sollicité par le PDG de Walfadjri, cette situation discriminatoire persiste. En perspective de l’élection présidentielle de 2024, Cheikh Niass envisage de publier un ouvrage incisif, dénonçant ce qu’il décrit comme une “Mafia d’État”.

Cheikh Niass : “Le compte de Walfadjri est au rouge comme 90% des Sénégalais”

Face à ces multiples défis, les finances du groupe de presse peinent à s’orienter vers une trajectoire positive. Pourtant, Walfadjri mise sur sa diversification pour émerger d’une situation précaire. “Le digital, bien que ne couvrant pas l’ensemble de nos besoins, demeure une source significative de revenus. Sans oublier la publicité non conventionnelle des médecins traditionnels qui se révèle lucrative, ainsi que la publicité conventionnelle,” détaille avec précision Cheikh Niass, tout en reconnaissant la modicité de ces entrées financières.

Cette conjoncture place l’entreprise dans une posture financière délicate, une réalité que le PDG aborde en relativisant : “Bien que les finances de Walfadjri soient dans le rouge, il convient de rappeler que de nombreux Sénégalais se trouvent dans une situation similaire. C’est cette proximité avec le quotidien du Sénégalais moyen qui forge l’identité et l’estime de Walfadjri”. Face à cette réalité financière, la concrétisation des ambitieuses visions de l’entreprise s’avère ardue. Aujourd’hui, le groupe opère au jour le jour, sous la direction de son PDG.

Ce dernier, fervent défenseur de l’éclat de sa structure, avait évoqué lors d’un sit-in en mars 2023, la possibilité de briguer la prochaine présidentielle afin de contrer “l’acharnement” vis-à-vis de son groupe et du monde de la presse. Cependant, il clarifie aujourd’hui sa position : “La course présidentielle n’est pas une aspiration pour moi, ni à court, ni à moyen, ni à long terme”. Préférant ainsi demeurer le protecteur vigilant de l’essence même de Walfadjiri.

“La voix des sans voix”, une lutte constante et prenante

Diriger une entreprise approchant quatre décennies d’existence, tout en entretenant des relations délicates avec le gouvernement, s’avère une entreprise d’une complexité singulière. Depuis son investiture à la tête de cette entité, Cheikh Niass confesse souvent s’effacer au profit de la grandeur de Walfadjri. “J’ai constaté une prise de poids notable, et ma santé a subi quelques altérations. Ces sacrifices découlent de l’exigence et l’excellence instaurées par Sidy Lamine Niass”, déclare-t-il avec émotion. Néanmoins, il tente de rectifier le tir en conjuguant rigueur professionnelle et bien-être personnel, notamment à travers des séances d’exercices physiques réguliers et des périples.

Durant sa vie, Sidy Lamine Niass incarnait un charisme incontestable, captivant les foules à chacune de ses apparitions. Une empreinte que son fils ne cherche pas nécessairement à égaler. Préférant une posture plus discrète, Cheikh se dédie corps et âme à préserver l’intégrité et les valeurs fondamentales de l’entreprise, portant fièrement le flambeau du contre-pouvoir. “Il est dit qu’‘être fidèle à son époque est meilleur qu’être fidèle à son père. Toutefois, je crois fermement qu’il est possible d’allier ces deux dimensions. Embrasser l’héritage paternel ne nous oblige pas à négliger les aspirations contemporaines”, affirme-t-il, mettant en exergue sa vision novatrice pour propulser le groupe dans l’ère digitale tout en assurant sa pérennité et sa croissance. En dépit des défis et des pressions, Cheikh Niass souhaite incarner cette fusion harmonieuse entre respect des fondations établies par son prédécesseur et anticipation des nécessités futures.

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