REBASEMENT DU PIB : UNE OPPORTUNITÉ STRATÉGIQUE POUR CONCILIER CROISSANCE ÉCONOMIQUE, INCLUSION SOCIALE ET ATTRACTIVITÉ DES INVESTISSEMENTS AU SÉNÉGAL SELON L’ÉCONOMISTE LIBASSE SOW

Rebasing du PIB au Sénégal : Opportunités et Défis d’un Nouvel Élan Économique
Une mise à jour nécessaire pour une meilleure lisibilité économique
Le Sénégal est engagé dans un exercice crucial : la réévaluation de son Produit Intérieur Brut (PIB), un processus appelé rebasing. Cette mise à jour vise à actualiser les méthodes et les données utilisées pour mesurer l’activité économique, afin de mieux refléter la réalité du pays. Au-delà de cette modernisation statistique, cette révision pourrait avoir des répercussions significatives sur les indicateurs économiques clés.
Avec l’émergence de nouveaux secteurs tels que le pétrole et l’économie numérique, cette révision du PIB pourrait considérablement améliorer les indicateurs macroéconomiques, notamment en réduisant le taux d’endettement public. Celui-ci, actuellement à 99 %, pourrait ainsi se rapprocher des seuils recommandés par l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), notamment la limite de 70 %, renforçant ainsi la crédibilité du Sénégal sur la scène internationale. Toutefois, cette amélioration des chiffres ne doit pas occulter les défis structurels persistants.
Cependant, au-delà des chiffres, cette réévaluation ne doit pas masquer les défis structurels auxquels le pays fait face, notamment en matière de redistribution des richesses et de stabilité économique.
Une actualisation après plus d’une décennie
Pour comprendre l’importance de cette révision, il faut remonter à la dernière mise à jour du PIB. La dernière révision du PIB sénégalais remontait à 2014, ce qui signifiait que les statistiques économiques ne prenaient pas en compte les évolutions majeures de l’économie, aboutissant à une hausse significative du PIB et révélant une économie plus dynamique et diversifiée. Aujourd’hui, un nouveau processus est en cours pour intégrer les réalités économiques récentes.
En 2023, un nouveau processus de rebasing a été enclenché afin de mieux intégrer les nouvelles réalités économiques du pays, marquées par la production du pétrole et du développement numérique. Si cette révision, attendue avant la fin de l’année, entraîne une augmentation du PIB, elle aura un impact direct sur le ratio d’endettement, le rendant plus soutenable. Mais cette croissance purement statistique ne suffit pas à elle seule à résoudre les problèmes structurels qui freinent le développement économique du Sénégal.
Un défi entre attractivité des investissements et pouvoir d’achat
Si le rebasing peut améliorer les indicateurs macroéconomiques, son impact sur la vie des populations reste une question centrale. L’augmentation du PIB doit impérativement se traduire par une amélioration du niveau de vie des populations. Or, la flambée des prix des denrées de première nécessité et les licenciements abusifs dans plusieurs secteurs limitent le pouvoir d’achat des ménages. Par ailleurs, l’attractivité économique du pays dépend aussi de la confiance des investisseurs.
Les investissements – tant publics que privés – jouent un rôle clé dans la croissance économique. Pourtant, un climat d’incertitude plane sur le Sénégal, notamment à cause des réformes annoncées sur le code des impôts et des investissements. Ces changements, s’ils ne sont pas bien expliqués, risquent d’inquiéter les investisseurs et de ralentir les flux de capitaux vers le pays. Dans ce contexte, la stabilité économique devient un enjeu majeur.
L’économie repose en grande partie sur la confiance et la stabilité. Si le Sénégal ne rassure pas rapidement les acteurs économiques, certains pourraient choisir de rediriger leurs investissements vers des marchés plus prévisibles.
Une dette publique sous pression
Outre les questions d’investissement, la gestion de la dette publique reste un sujet préoccupant. En 2024, le Sénégal a contracté près de 4 500 milliards de FCFA de dette, dans des conditions parfois défavorables, avec des taux d’intérêt élevés et des échéances de remboursement courtes. Sans une maîtrise de cette dynamique, le pays pourrait faire face à de graves difficultés.
Si cette tendance se poursuit, le pays risque de retomber dans une spirale de surendettement, rappelant les crises des années 1980 et 1990. Or, une telle situation aurait des répercussions graves sur la stabilité économique et sociale du pays.
Rétablir la confiance : un impératif pour attirer les investisseurs
Face à ces défis, le Sénégal doit renforcer sa crédibilité auprès des partenaires financiers. Dans un contexte économique sous tension, le Sénégal doit redoubler d’efforts pour rassurer ses partenaires financiers et attirer de nouveaux investissements. Une diplomatie économique proactive, combinée à une meilleure communication gouvernementale sur les réformes en cours, pourrait contribuer à renforcer cette confiance. Parmi les leviers disponibles, les zones économiques spéciales (ZES) occupent une place stratégique.
L’un des leviers majeurs réside dans la promotion des zones économiques spéciales (ZES), qui offrent des incitations fiscales et logistiques aux entreprises étrangères. Cependant, ces dispositifs doivent être gérés avec transparence pour éviter toute suspicion et garantir leur efficacité. En parallèle, les accords commerciaux régionaux représentent une opportunité à saisir.
Par ailleurs, le Sénégal doit pleinement tirer parti des accords commerciaux régionaux et internationaux. L’un des plus prometteurs est la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf), qui vise à créer un vaste marché unique pour les biens et services en Afrique. En facilitant les exportations et en renforçant la compétitivité des entreprises locales, cet accord peut jouer un rôle clé dans la croissance du PIB sénégalais.
La digitalisation : un levier pour la transparence et la croissance
Dans cette quête de modernisation, la digitalisation apparaît comme un outil incontournable. La modernisation des administrations publiques grâce au numérique constitue un atout majeur dans la lutte contre la corruption et la gestion inefficace des ressources publiques. En rationalisant les procédures et en améliorant la transparence, elle permet d’optimiser la gouvernance et de renforcer la confiance des citoyens ainsi que des partenaires internationaux. Un projet ambitieux pourrait révolutionner la gestion des finances publiques.
Un des projets phares dans cette dynamique de modernisation pourrait être la mise en place d’une plateforme numérique unifiée regroupant l’Autorité de Régulation de la Commande Publique (ARCOP), le Trésor public et la Cour des comptes. Une telle plateforme offrirait une centralisation des informations et des données relatives aux marchés publics, aux dépenses de l’État et aux contrôles financiers. Cette innovation permettrait également un meilleur contrôle parlementaire.
Pour compléter ce dispositif, l’Assemblée nationale pourrait être intégrée au processus de contrôle budgétaire à travers un accès direct à la plateforme numérique. Cette connexion permettrait aux parlementaires de suivre en temps réel l’exécution du budget de l’État, d’analyser les dépenses effectuées par les différentes institutions et d’émettre des recommandations basées sur des données fiables et actualisées.
Un modèle de croissance inclusif et durable : la clé du succès
Au-delà des réformes techniques, l’inclusion sociale doit rester une priorité. La croissance économique ne peut être efficace que si elle bénéficie à l’ensemble de la population. Or, les tensions sociales et les inégalités grandissantes freinent le développement du pays. Pour y remédier, une politique sociale plus ambitieuse s’impose.
L’État doit donc mettre en place une politique sociale plus inclusive, visant à améliorer les conditions de vie des citoyens et à réduire la précarité. Cela passe par une meilleure redistribution des richesses, la création d’emplois durables et un soutien renforcé aux secteurs clés de l’économie.
Un tournant décisif pour l’avenir économique du Sénégal
En définitive, le rebasing du PIB représente bien plus qu’un simple ajustement statistique. Le rebasing du PIB est une opportunité majeure pour le Sénégal car il permet d’améliorer la crédibilité des statistiques nationales et d’attirer davantage d’investissements en rassurant les partenaires financiers sur la soutenabilité de la dette publique. Mais il ne doit pas être perçu comme une simple amélioration statistique. Son succès dépendra de la capacité du pays à concilier performance économique et progrès social.
Pour que cette révision se traduise en bénéfices concrets pour la population, le pays doit adopter une approche équilibrée, alliant discipline budgétaire, attractivité des investissements et inclusion sociale. L’enjeu est de taille, mais les perspectives sont prometteuses si les bonnes décisions sont prises.
L’avenir économique du Sénégal dépendra de sa capacité à transformer cette réévaluation en un véritable levier de développement durable. Seule une stratégie cohérente, combinant croissance économique et progrès social, permettra au pays de franchir un nouveau cap vers l’émergence.
Libasse Sow, Economiste
