Touba Face aux inondations : une urbanisation rapide sans planification adéquate
Fondée en 1887 par Cheikh Ahmadou Bamba, la ville de Touba, autrefois un modeste lieu isolé dans une zone aride, est devenue l’une des plus grandes agglomérations du Sénégal. Ce développement fulgurant, porté par le caractère sacré du lieu et la dévotion des disciples de Bamba, a transformé Touba en un centre urbain dynamique et spirituel. Cependant, cette urbanisation rapide pose de nombreux défis notamment la prise en charge des inondations récurrentes qui frappent la ville lors de chaque saison des pluies.Une urbanisation rapide et non maîtrisée :Dès ses débuts, Touba a connu un développement unique, largement financé par le soutien participatif des disciples du fondateur de la ville. La mosquée de Touba, centre névralgique de la ville, a attiré une forte population désireuse de s’installer autour du lieu saint. Ce mouvement a entraîné une expansion rapide, avec des lotissements organisés, de larges rues et une architecture souvent copiée par d’autres villes au Sénégal, comme Mbour. Cependant, cette urbanisation a manqué de mesures d’accompagnement, notamment en matière de gestion des eaux pluviales. Les infrastructures de drainage, insuffisantes voire inexistantes dans certaines zones, nont pas suivi le rythme de lexpansion démographique. Aujourd’hui, beaucoup de quartiers de Touba sont exposés au risque d’inondation, selon les constats faits sur le terrain.Les causes multiples :La situation actuelle est loin d’être le fruit d’une simple fatalité, mais plutôt le résultat de plusieurs facteurs structurels. Occupation des zones dites « non aedificandi » :Lun des principaux facteurs structurels est l’occupation des zones dites « non aedificandi », c’est-à-dire des terrains théoriquement inconstructibles, souvent situés dans des bassins de rétention naturels. Ces zones, initialement prévues pour recueillir l’excès d’eau pendant la
saison des pluies, ont été envahies par des constructions non planifiées.
Il est essentiel déménager et de libérer les zones inondables pour quelles puissent jouer leur rôle de réservoirs naturels deaux de pluie. Si cela nest pas fait, même en investissant des milliards, les mêmes problèmes persisteront.
La dégradation du couvert végétal :
En outre, bien que certaines zones aient abrité des arbres et végétations qui jouaient un rôle de tampon naturel, la disparition progressive de ces éléments a aggravé la situation par une augmentation du ruissellement. Sans ces amortisseurs naturels, les pluies, qui s’intensifient avec le changement climatique, s’accumulent et créent des zones de stagnation dans plusieurs quartiers.
De lourds investissements sans résultats probants :
A première vue ces problèmes inondations peuvent apparaitre comme liés à la fatalité mais il s’agit en réalité dune planification non maitrisée malgré des investissements lourds. Des efforts considérables en termes de réalisation d’infrastructures ont été menées. Dans ce cadre 22 milliards ont été engagés en 2022 et 17 milliards en 2023 pour réhabiliter les ouvrages d’assainissement notamment les bassins de Keur Niang, Nguelemou et Keur Kab. Le ministre de l’Eau et de l’Assainissement de l’époque, Serigne Mbaye Thiam, avait précisé que la solution immédiate pour Touba réside dans l’installation de bassins, la ville ne disposant pas exutoire naturel. À long terme, il s’agissait de restaurer les voies naturelles des eaux, notamment le bassin versant du Sine, qui autrefois absorbait les eaux venant de Touba et de Diourbel.
Un autre facteur aggravant est la remontée des nappes phréatiques, qui contribue également aux inondations. Des mesures telles que la réalisation de 19 micro-forages ont été mises en place pour tenter de résoudre ce problème, avec des résultats encourageants dans certaines zones.
Chaque année, les inondations à Touba provoquent des dégâts importants. En 2023, de nombreux témoignages ont fait état de milliers de familles touchées par ces inondations, qui ont causé des pertes matérielles importantes, bien que les chiffres exacts ne soient pas disponibles. Outre les pertes matérielles, les inondations augmentent les risques sanitaires, favorisant la propagation de maladies liées à l’eau stagnante, comme le paludisme ou les infections cutanées. Ces catastrophes perturbent également les activités économiques, les commerces étant obligés de fermer pendant plusieurs jours, voire semaines, lors des fortes pluies.Quelles solutions ?Face à ces défis, plusieurs solutions ont été proposées par les urbanistes et les autorités locales. Une meilleure gestion des zones inondables La première consiste à mieux organiser la gestion des zones inondables. Il est essentiel de libérer les espaces non constructibles pour qu’ils puissent servir de réservoirs naturels aux eaux de pluie. Sans ces espaces, même des investissements massifs dans les infrastructures ne pourront pas résoudre durablement le problème.Prise en compte de la dimension changement climatique dans la conception des ouvrages d’évacuation des eaux :Ce qui fait dire à l’actuel ministre de l’hydraulique et de l’assainissement que l’état cherche à mettre fin à une approche intervention fragmentée : « On ne veut plus être dans une logique où, chaque hivernage, on vient mettre dans une ville comme Touba 50 milliards, 60 milliards, 100 milliards, et quand on regarde le résultat, on nen voit pas vraiment. Parce que non seulement la dépense nest pas efficiente, mais on pense même quelle nest pas faite à bon escient. » Ce constat met en évidence la nécessité dune planification plus réfléchie et de solutions durables.Ce point de vue du ministre est corroboré par Dr Mouhamet Seck, docteur ingénieur en hydrogéologie et spécialiste en gestion des eaux (water management), a récemment partagé une observation importante : « Selon l’APS, il a plu 140 mm entre 3h et 7h du matin.
À quelle fréquence correspond-elle ? Pour mettre en place une solution durable, on devrait répondre à cette question d’abord. C’est à partir de ce moment qu’on va pouvoir dimensionner correctement les ouvrages : bassins d’infiltration, d’essorage, stations de relevage, canaux ou autres ».
La gestion des inondations repose donc sur une bonne connaissance des chroniques pluviométriques, des types de sols, leur occupation et surtout une capacité à dimensionner adéquatement les infrastructures.Sensibilisation :La sensibilisation des habitants et des autorités locales et religieuses doit être renforcée.
La construction anarchique dans les zones à risque doit être strictement encadrée, et des solutions de logement alternatives doivent être proposées pour éviter que de nouveaux quartiers ne soient érigés dans des zones inondables.
La situation actuelle à Touba est révélatrice des défis plus larges que connaissent de nombreuses villes sénégalaises face à une urbanisation rapide. Les inondations, autrefois perçues comme un phénomène naturel inévitable, sont aujourd’hui mieux comprises comme un problème de planification urbaine. Pour y faire face, il faudra des efforts conjoints des autorités locales, des experts, et des habitants.
La ville de Touba, symbole religieux et historique, doit désormais se réinventer pour devenir un modèle de résilience face aux défis environnementaux.Les inondations récurrentes à Touba sont un témoignage éloquent des défis posés par une urbanisation rapide sans planification adéquate. Les solutions existent, qu’il s’agisse de la libération des zones inondables, de l’intégration du changement climatique dans la conception des infrastructures, ou encore de la sensibilisation des populations locales. Il est désormais impératif d’adopter une approche globale et durable pour faire face à ces défis.
Loin d’être une fatalité, la situation de Touba nous invite à repenser nos méthodes de planification urbaine afin de bâtir une ville résiliente et adaptée aux enjeux environnementaux actuels.
Mamadou DIENG, Ingénieur en Génie Civil (EPT)MBA en Gestion de Projets/Executive Master Finance expert Certifié EDGE (construction durable) Fondateur Leaders Sénégalais – LeadSen (www.leadersenegalais.com)